Mi-septembre, la Maison-Musée Gauguin a eu le bonheur d’accueillir Anne Underwood Enslow, l’arrière-petite-fille du peintre et sculpteur américain William Sergeant Kendall
Qui était William Sergeant Kendall ?
Né en 1869 dans un quartier du Bronx, à New-York, Kendall a travaillé au Pouldu et à Concarneau entre 1889 et 1892.
Après avoir fréquenté divers établissements artistiques aux États-Unis : la Brooklyn Art Guild, la Pennsylvania Academy of the Fine Arts et l’Art Student League (New-York), Kendall part en France perfectionner ses compétences. En 1888, à l’âge de 19 ans, il arrive à Paris où il travaille dans l’atelier de Luc-Olivier Merson à l’Ecole des Beaux-Arts. Il fréquentera également l’Académie Julian.
À l’exemple de beaucoup d’autres jeunes étudiants étrangers, il passe les mois d’été en Bretagne, en bord de mer.
Le tournant de la carrière artistique de William Sergeant Kendall survient lorsque son tableau Saint-Yves, priez pour nous est accepté au Salon de Paris de 1891 et obtient une mention honorable. La critique est élogieuse : « Comment se désintéresser d’une représentation ingénue de l’enfance semblable à celle de M. Sergeant Kendall : le désespoir de ces deux orphelines, affaissées sur un banc, et implorant Saint Yves, n’est-il pas ressenti, tout à fait propre à exciter la compassion ? Et par surcroit, la jolie gamme que celle dans laquelle est conduit tout le tableau ! » (Le Progrès Artistique, 23 Mai 1891)
Maud Naour, directrice de la Maison-Musée Gauguin : « Madame Anne Underwood Enslow est entrée en contact avec moi en avril. Elle avait beaucoup de questions à me poser et souhaitait découvrir la chapelle Saint-Maudet car celle-ci a servi de décor à un important tableau de Kendall appelé Saint-Yves, priez pour nous. Il représente deux jeunes filles assises sur un banc en pierre à l’intérieur de la chapelle, la plus âgée d’entre elles est tournée vers une grande statue polychrome posée sur l’appui d’une fenêtre. »
Suite au Salon de Paris, l’œuvre sera ensuite montrée à Munich, Chicago, Philadelphie ou encore Boston avant d’être à nouveau exposée à Paris lors de l’Exposition Universelle de 1900 et récompensée par une médaille de bronze. La popularité du tableau est indéniable.
L’histoire de cette œuvre :
Le 22 octobre 1890, Kendall se met au travail. Il emmène ses deux modèles à la chapelle Saint-Maudet pour essayer diverses poses. Suivront plusieurs pochades. Le 5 novembre, il tend sa toile sur un châssis. Deux jours plus tard, il recommence, il tend une nouvelle toile. Il reste tout l’hiver au Pouldu et finalement, le 20 mars 1891, le tableau est envoyé au Salon.
Le modèle principal du tableau s’appelle Thérèse Le Goué. Elle a 19 ans. Il s’agit de la nièce de Madame Destais. Le second modèle, la jeune fille accolée à Thérèse, se prénomme Antoinette. Elle a 10 ans. Elles sont l’une et l’autre orphelines de mère. Antoinette perdra sa mère alors que Kendall réalisait cette peinture.
L’artiste a visiblement éprouvé un profond sentiment de compassion à l’égard de la situation malheureuse de ces deux jeunes filles qu’il côtoie à l’auberge. Il note dans son journal à propos de Thérèse : « C’est ici une vraie « Cendrillon ». Sa tante la bat devant les gens quand elle (la tante !) est ivre et la traite de tous les noms, de sorte que la pauvre fille est prête à mourir de honte. Je lui ai demandé pourquoi elle s’endormait toujours lorsqu’elle posait pour moi à l’église. Elle a dit : « Parce que lorsque je pose pour vous et que je suis loin de ma tante, tout est si paisible et heureux que je pense que je suis morte et au paradis. Alors je ferme les yeux et je me repose.
Thérèse Le Goué a connu un étonnant destin. Voulant l’aider, Kendall l’a envoyé aux États-Unis, à Greenwich (New York), où elle fut employée par ses parents comme femme de ménage. Elle a ensuite travaillé pour la tante de Kendall à Brooklyn, avant de revenir en Bretagne.
Maud Naour : « C’est une chance incroyable que le territoire de Clohars-Carnoët ait attiré autant d’artistes de talent. Beaucoup de ces peintures me servent de point de départ pour en apprendre davantage sur l’histoire de la commune. A une époque où la photographie est encore peu usitée, les tableaux sont des témoignages sensibles des paysages et de la vie d’autrefois. Ils peuvent fournir des informations précieuses qui, recoupées avec d’autres sources historiques, font avancer nos connaissances. Ce travail de recherche permet une compréhension plus fine et intime de notre territoire. Lorsque l’anonymat des modèles est levé et un pan de leur histoire révélée, c’est magique ! »
Dans le cas de la peinture Saint-Yves, priez pour nous, la correspondance et le journal de l’artiste, soigneusement étudiés par son arrière-petite-fille et conservés aujourd’hui au New-York Historical Society, nous éclairent sur son oeuvre. Les deux modèles travaillaient comme domestique dans une auberge située à proximité de la chapelle de Saint-Maudet, à la Croix de Keranquernat : l’auberge de Victor Louis Destais et son épouse Marie Jacquette, née Houssain. Le couple a ouvert cette auberge au printemps 1887. Ils y vivent avec leurs deux enfants, Victor et Marie.
Kendall arrive chez Destais au Pouldu en septembre 1889. Il écrit y avoir croisé « deux artistes français ». L’un d’entre eux est l’artiste hollandais Meijer de Haan.
L’auberge Destais a été le lieu de villégiature de Paul Gauguin, Paul Sérusier, Charles Filiger et Meijer de Haan durant l’été 1889, avant qu’ils ne choisissent de s’installer chez Marie Henry, à la Buvette de la Plage.
Aujourd’hui, le centre de vacances « Les Grands Sables » du CIE Thales & Adhérents occupe les locaux de l’ancienne auberge Destais.